UN HOMME SIMPLE
Ça commence toujours comme ça. La brouette passe en criant : « J’en ai assez de rouler ».
Le balai tout doux avec son chant de paille appose des frôlements légers et chauds, une musique aérienne remplie de soleil, d’odeur de terre féconde qui fait écho à celle qui surgit de la maison de pierres nues, là bas dans l’échancrure de la rue où se dessine la trace d’un haïku, le Canigou, comme le Fuji-Yama.
Un coup à la cloche, celle de la mairie qui compte les 35 heures du cantonnier, du balayeur, du fossoyeur. Attention de ne pas être en retard.
Ça commence toujours comme ça, le rosier plonge sa racine dans la faille entre les pierres, jusque dans les entrailles du village, jusqu’au magma, juste là sous le roc, peut être jusqu’à la mangrove de l’étang.
La couleur bleue du ciel tangue jusqu’à l’eau, se coule sur l’étang, se vrille, se ride, se délite. Là, un scintillement forme une flaque de glace, au cœur de la lagune, puis s’étire, s’allonge, s’évapore dans un mirage.
Le vent de l’Aubrac
Juste une pointe de neige
Sur la joue en feu.
La brouette a mis du feu dans sa roue et Jean-Louis a mis du cœur dans son ouvrage. Il a son front de labeur et des yeux de marécage, d’un brun orangé, avec des étincelles qui se font paillettes lorsqu’il rit.
La brume de mer
Etouffe bruits et peines
Quand il est triste.
Il nourrit son corps creux d’air, d’eau, d’un peu de vase et d’odeur craquante du rivage. Un jour il a marché sur des lambeaux de terre. Il a dit :
« Tiens, la terre a pris son coup de soleil aujourd’hui. »
Ses mains sont imprégnées de la terre où il est né, incertaine, variable, parfois liquide, tantôt desséchée par le vent, tantôt claquante, gluante ou infestée d’insectes.
Cri du goéland
Peut être un enfant en pleurs
Transperce le ciel.
Il s’est arrêté sous l’arche, pas celle du cadran solaire, l’autre, qui s’ouvre sur la baie.
Un frisson, un pas
Frontière du Nord au Sud
Un pas, soupir chaud.
Travailler dehors. Une vie à composer avec les climats, se faufiler entre les mailles des filets qui sèchent dans l’air marin.
Toujours les mêmes
Jours, filets et anguilles
Jamais les mêmes.
« Dis-moi Léon, t’as pêché les anguilles aujourd’hui ? »
Et Léon qui sourit toujours, comme habillé d’algues, dit : « Laisse-moi. »
Il prétend que là bas à l’horizon, il y a la fée de la montagne. Preuve, c’est dur, un morceau de glace aiguisé pour hacher le bleu du ciel.
La brouette se remet à gémir. Jean-Louis s’éloigne.
Dominique CABROL - Bages, 26 mai 2013