6 mai 2013
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Ecrit en atelier avec Claude, le 23 avril 2013. La proposition était : parler d'une attente. Plusieurs mots ont été placés au moment où l'animatrice les as annoncés : trahison, sagesse, réconfort, souris, fleuriste, sereine.
La fleuriste et le cheminot
Salle d’attente, gare de Lyon à Paris, soir d’automne sans train bleu. Des pigeons se cognent sous la verrière. Le brouhaha, les sandwichs dans des sacs en papier et des magazines que l’on feuillète distraitement. Le tableau cliquète brutalement et affiche des caractères comme une trahison, inéluctablement. Trop tôt encore pour partir, pour se lever, pour glisser le billet dans l’horodateur. L’attente s’étire ou se recroqueville dans ce no man’s land anonyme. On rêverait presque d’assister à quelque chose d’exceptionnel, un vol, un malaise ou un train qui arriverait trop vite et heurterait la butée, là au bout du quai, à quelques mètres, dans un raclement aigu sur les rails de métal. Mais il n’y a rien que cette pénible attente entre des instants de sagesse et des phases de folie douce.
Elle songea que les salles des pas perdus n’existaient que pour des pas qui ne servaient à rien, qui n’avaient aucun sens, aucune destination. Le tableau cliquetait toujours, la rappelant à ce temps qui se vidait de sa substance sans apporter de réconfort comme le serait l’attente d’un bon café chaud et très sucré.
Elle se rendit compte que rester ainsi dans ce moment flou sans heure ne faisait qu’accroitre son malaise. Elle ferma les yeux, inspira profondément, rouvrit les paupières vers les pigeons au vol mou et court. « Stop, j’arrête ça ! »
Il fallait regarder le monde autrement, voir des souris dans le moindre trou, distinguer des sourires sur les visages impassibles qui dirigeaient le même regard sur le même panneau électronique martelant les noms des gares et des horaires.
Et si tout à coup le panneau lançait un message secret pour la petite fleuriste qu’elle avait vu tout à l’heure, le ventre tout rond de son heureuse attente ? La fleuriste sereine attendait un enfant et attendait autre chose. Le père de l’enfant à naître, cheminot, écrivait sur le panneau noir : « Rose, épouse-moi. »
Une dernière fois le tableau fit défiler ses lignes changeantes. Quai 23. Elle se leva, composta son billet et se dirigea vers le wagon 12, place 46, côté fenêtre. Elle avait 6h30 devant elle. Elle avait le temps d’écrire cette histoire entre la fleuriste et le cheminot. Elle était heureuse.
domi